Marc 1

Chapitre 1

Commencement

« Commencement »… c’est le premier mot de l’Évangile selon saint Marc. Ce mot peut nous paraître banal, mais en y regardant de près, nous voyons qu’il est tout un programme. Il nous faut le recevoir avec tout son poids et toute sa portée. Il nous renvoie au premier récit de la Création : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre… (Gn 1,1)

L’Évangile de Marc commence par ce mot parce que le Fils de Dieu est le « COMMENCEMENT » (l’Alpha) de toutes choses. Tout commence « par lui, avec lui et en lui. C’est ce qui est chanté dans la troisième préface du Temps ordinaire : « C’est par ton Fils Bien-Aimé que tu as créé l’homme et c’est encore par lui que tu en fais une créature nouvelle. »

Dans l’Évangile de Marc, il y a un mot qui revient très souvent : c’est « aussitôt ». À tout moment, ça « commence ». Avec Jésus, il y a toujours du nouveau. Ce n’est pas seulement Jésus qui commence toutes choses, mais souvent, par ricochet, les gens qu’il rencontre, les malades, les disciples…

L’Évangile de Marc nous invite à accueillir Jésus qui fait toutes choses nouvelles. Le chrétien c’est quelqu’un qui commence toujours, chaque matin et à toute heure de la journée. « Parce qu’il commence, il est joyeux. Parce qu’il ne fait que commencer, il ne peut pas s’enorgueillir et sa joie n’écrase personne » (Frère David Marc D’Amonville).

« Jésus Christ Fils de Dieu »

« Bonne Nouvelle de Jésus Christ, Fils de Dieu. » C’est le titre qui est donné à Jésus dès le début de l’Évangile. Mais pour éviter tout malentendu, cette identité doit rester secrète. Tout au long de son ministère, Jésus manifeste la venue du Royaume de Dieu ; il guérit les malades, fait de nombreux miracles. Et pourtant, il se tient loin des foules qui le cherchent. Il demande aux malades qu’il a guéris de n’en parler à personne, ceci pour éviter toute mauvaise interprétation. Il ne veut pas s’imposer comme un roi à la manière des grands de ce monde.

Deux versets clés :
Au début : « Bonne Nouvelle de Jésus Christ, Fils de Dieu. » (Marc 1. 1)
A la mort de Jésus : « Cet homme était vraiment fils de Dieu. » (Marc 15. 39)
Entre les deux, Jésus impose le secret. Celui-ci ne sera dévoilé qu’à la lumière de la résurrection.

Des Écritures à l’Évangile
Dès le départ, nous avons une annonce du Messie attendu par le peuple d’Israël : Marc reprend ce qui était annoncé par le prophète Isaïe ; ce texte nous parle d’un messager « en avant de toi ». Ce messager c’est une « voix » qui crie, qui appelle et qui interpelle. Cet appel premier est une dimension forte de l’Évangile. Avant toutes choses, nous sommes appelés, quelqu’un nous appelle. Quelqu’un nous appelle, nous projette en avant, nous tire et nous attire

« Préparez le chemin du Seigneur ». C’est un appel à renoncer à ce qui fait le cœur de notre péché. Nous pensons à nos petites fautes quotidiennes ; oui, bien sûr, et il faut s’en corriger. Mais le plus grave, c’est de se détourner du Seigneur, de vivre dans l’indifférence par rapport à lui, de l’éliminer de notre vie et de notre histoire. Le péché principal c’est de croire que l’humanité peut réaliser son salut et d’atteindre son bonheur sans avoir besoin de Dieu. Mais Dieu nous fait comprendre que cela n’est pas possible par nos seules forces et sans lui.

Des chemins en forme de plongée
« Arriva Jean qui baptisait dans le désert… » Jean reçoit sur ses épaules le poids des Écritures du Passé. Il semble reconnu puisque tous viennent à lui. Le baptême qu’il donne est une soif de purification chez les hommes en quête de spiritualité. Plus ou moins consciemment, ils ressentent une attente d’un pardon et d’une réconciliation.

Ce geste de l’eau ne prétend pas opérer la transformation qu’il annonce. En l’accomplissant, Jean invite chacun à « préparer le chemin du Seigneur ». Ce geste n’aura de sens que s’il est accompagné d’un effort de droiture. Chacun est invité à accueillir le « commencement » de cette joie qui s’annonce.

Une Épiphanie
Jésus surgit sans qu’on l’ait vu venir. L’Évangile de Marc est placé sous le signe de la stupeur, d’un surgissement inattendu. Plus tard, ce sera LE surgissement par excellence, la résurrection. Et pourtant, ce Jésus qui surgit ne baptise pas lui-même mais il se fait baptiser par Jean. Nous savons bien qu’il n’avait pas de péché à se faire pardonner. Mais il a voulu rejoindre ce monde pécheur. Il est entré dans les eaux du Jourdain, pur de tout péché. Il en est sorti porteur de tout le péché du monde pour nous en libérer.

Aussitôt
« Aussitôt »…, voilà un mot qui revient très souvent dans l’Évangile de Marc. C’est une manière de relier le nouvel événement à celui qui le précède, même si cela ne va pas de soi. Parce que Jésus apparaît, les choses se précipitent et s’accélèrent. Ces deux événements sont le baptême de Jésus et aussitôt après la descente de l’Esprit Saint.

Les cieux se déchirent…
Ce n’est pas une ouverture provisoire. Lors de la mort de Jésus sur la croix, le rideau du sanctuaire s’est déchiré. Il n’y a plus de séparation entre le domaine de Dieu et celui des hommes, entre le sacré et le profane, le monde de Dieu se trouve en communication avec celui des hommes. Cette ouverture ne se refermera jamais.

« Tu es mon Fils Bien-aimé… »
Dans le monde de la Bible, le fils n’est pas seulement l’enfant du couple ; c’est celui qui passe de la minorité à la majorité, celui qui entre dans la responsabilité propre à l’héritier ; c’est celui qui est capable de répondre à l’héritage promis.
Nous sommes tous appelés à devenir des fils. Notre héritage, c’est celui qui est transmis de toute éternité par le Père au Fils. Dans la parabole du fils prodigue, il n’y a pas deux « fils » mais deux enfants, deux immaturités. L’immaturité la plus résistante c’est quand on nie le don : « On ne m’a pas donné… je n’ai pas reçu ce que j’attendais… »
Jésus donne en perfection la réponse de l’amour filial. Tout l’Évangile nous appelle à devenir à notre tour des fils, responsables et conscients du don de la grâce.

Au désert
« Aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert et, dans le désert, il resta quarante jours, tenté par Satan. Il vivait parmi les bêtes sauvages, et les anges le servaient. »

Cet Évangile nous montre Jésus venu récapituler l’histoire du peuple choisi, revivre toutes les épreuves de l’humanité. Il était nécessaire qu’il en fasse l’expérience. Après son passage à travers les eaux du Jourdain, Jésus se retrouve au désert pendant quarante jours. De même, après le passage de la Mer Rouge, le peuple d’Israël a vécu quarante ans au désert.
Au désert, Jésus est tenté par Satan. L’ange déchu qui cherche à faire tomber l’homme n’a pas de pouvoir sur Jésus, le nouvel Adam.
Jésus vainqueur du péché était avec les bêtes sauvages. C’est une manière de dire qu’il goûtait l’harmonie première voulue par Dieu. En quelques mots, Marc nous montre que Jésus vit dans un monde réconcilié, en paix avec les bêtes sauvages et en communion avec Dieu

La mission de Jean
Jean Baptiste est appelé le « précurseur » : sa vie annonce la mission de Jésus, y compris dans sa mort. Il est emprisonné et condamné avant Jésus. Il sera condamné à mort au cours d’un repas. Il est mort comme précurseur de celui qui dira : « Je suis la vérité. »
« Le règne de Dieu est tout, proche… » C’est une bonne nouvelle que tous peuvent accueillir en se convertissant. C’est en Jésus que nous retrouvons la possibilité de recevoir pleinement la présence de Dieu en nous. Dieu est infiniment plus proche de moi que je ne saurais être proche de lui. Se convertir à Jésus, c’est axer toute sa vie sur lui.

Appel des premiers disciples
C’est Jésus qui appelle. On ne s’attribue pas cet honneur d’être disciple de Jésus (ou d’être prêtre de la nouvelle alliance). Tout est grâce et bienveillance de la part de Dieu. Il nous appelle à partager sa propre vie de rassembleur d’hommes. Accompagner Jésus, c’est s’en aller avec lui, c’est vivre une communauté de vie, de pensée et d’aspiration.
C’est « aussitôt » que les appelés laissent leur métier et leur famille. L’appel de Jésus se fait impérieux et catégorique.

Jésus enseigne et guérit
Marc présente Jésus puissant en paroles et en actes ; il étonne les gens ; on s’attache à lui parce que sa parole et ses actions libèrent. Sa parole ébranle ; elle ne laisse personne indifférent.
Jésus manifeste sa puissance sur les « démons » ou « esprits impurs » ; en guérissant ceux qui étaient sous leur pouvoir, il fait reculer les forces du mal en luttant sur leur propre terrain. Il faut savoir que pour un juif, la maladie rendait impur, c’est-à-dire inapte à prendre part au culte.
Verset 24 : « Je sais qui tu es, le Saint de Dieu… » Jésus réagit en proclamant le nom de l’ennemi et en dénonçant son projet. Dans le monde antique, connaitre et proclamer le nom de quelqu’un, c’était le dominer. Dans livre de la Genèse, il nous est dit que l’homme devient le maître et seigneur de tous les êtres vivants en leur donnant un nom.
Cet Évangile nous révèle le pouvoir supérieur de Jésus. Avec lui, il n’y a pas de situation désespérée. Le Royaume de Dieu est en train de s’établir. Cette autorité supérieure de Jésus étonne. Il se comporte comme un envoyé de Dieu qui connaît les pensées de Dieu.
La renommée de Jésus devient de plus en plus importante. Partout on parle de lui. Mais pour être disciple de Jésus, il ne suffit pas d’écouter des rumeurs ; il faut s’attacher à Jésus qui nous parle personnellement.

 

Guérison de la belle-mère de Pierre. (1, 29-31)
Jésus vient de participer à l’office dans la synagogue de Capharnaüm. Il se rend chez Simon et André, accompagné de ses quatre premiers disciples. Or « la belle-mère de Simon était au lit avec de la fièvre ». Si on en parle à Jésus, ‘est à cause de ses dons de guérisseur. Mais contrairement aux magiciens de son temps, il évite les grandes formules. Tout se passe dans la discrétion : il aide la femme à se lever en la prenant par la main.
Pour comprendre cet Évangile, la maladie était considérée comme la marque du péché. La fièvre est vue comme l’un des châtiments promis par Dieu à son peuple infidèle.
Quand saint Marc écrit son Évangile, il s’adresse à sa communauté chrétienne ; il a relu cet événement à la lumière de la résurrection de Jésus. Le verbe « il la fit lever » est le même qu’il utilisera pour dire que « Jésus est ressuscité. Jésus n’est pas seulement le guérisseur ; par sa résurrection, il est reconnu comme « Christ et Seigneur ». Il est celui qui continue à nous relever en nous arrachant au péché et en nous sauvant de la mort.
La femme guérie se met au service de ses hôtes. Le Christ continue à libérer ses hôtes pour qu’ils puissent, eux aussi, se mettre à son service.

« Un franc succès » (1, 32-34)
Grâce à ses dons de guérisseur, Jésus connaît une immense renommée. Mais Marc prend soin de préciser que ces guérisons et ces exorcismes s’inscrivent dans une mission d’évangélisation. Jésus n’est pas un faiseur de miracles. Il donne des signes qu’avec lui, « le règne de Dieu advient.
Jésus interdit aux esprits mauvais de divulguer qui il est. Il veut bien répondre aux demandes des foules miséreuses. Mais sa priorité, c’est le salut qu’il apporte. Il impose le silence sur la révélation de son identité ; celle-ci risquerait de fourvoyer les gens. Tous croiraient qu’il va réduire d’un coup de baguette magique les mots qui les accablent.
Les titres de « Christ » et « Fils de Dieu » ne pourront être correctement interprétés qu’à la lumière de la Passion et de la Résurrection. Le Messie n’a sauvé le monde qu’en passant par la mort.

« Prière et mission » (1, 35-39)
Après une journée d’activité débordante, Jésus recherche la solitude et la communion avec Dieu. Il ne veut pas céder au raz de marée populaire que suscitent ses miracles. Il a besoin de réfléchir la gravité et au sérieux de sa mission.
Les disciples se mettent à sa recherche. Ils n’ont pas compris l’ambiguïté de la situation. L’engouement des foules qui courent à Jésus prend l’allure prend l’allure d’un emballement dangereux. Le Maître met ses amis en garde contre une fausse interprétation de son rôle. Il rappelle avec vigueur ce qui est au cœur de sa mission : « Partons ailleurs ».
Le but de Jésus n’est pas de faire des miracles mais d’annoncer le Salut. Il est venu proclamer en actes que « le Salut est proche ». « C’est pour cela que je suis sorti » dit Jésus. Saint Jean précisera plus tard qu’il est « sorti de Dieu »; C’est une affirmation de la divinité de Jésus.
Ce passage nous montre le caractère universel de la mission de Jésus : il annonce l’Évangile dans toute la Galilée. Cette province est connue pour être un carrefour du monde païen. La mission du Christ est ouverte à tous. Nous voyons à quel point il a su concilier tous les impératifs de sa manifestation messianique : la prière, l’annonce de l’Évangile et les signes qui l’authentifient.
Nous chrétiens baptisés et confirmés, nous sommes envoyés pour être les messagers de la bonne nouvelle jusque dans les « périphéries ». Mais comme le s, nous devons rester très humbles. Le principal travail, c’est Dieu qui le fait dans le cœur de ceux et celles qu’il met sur notre route.

 

La guérison d’un lépreux (1, 40-45)
Dans la société de l’époque, le lépreux est un proscrit. Tout contact lui est rigoureusement interdit. Il doit se tenir à l’écart des villes et des villages. La lèpre n’est pas seulement un mal physique horrifiant. C’est aussi un mal religieux. Celui qui en est atteint est considéré comme une source d’impureté. Dieu seul pouvait le guérir de ce mal.
Or voilà que ce malade s’approche humblement de Jésus ; il s’agenouille et le supplie : « Si tu le veux, tu peux me purifier ». L’attitude de Jésus est significative : il ose toucher l’intouchable ; sa parole a une souveraineté efficace : « Il dit et cela fut ».
Jésus demande au lépreux guéri d’aller se montrer au prêtre. À travers cette demande, il veut assurer la réinsertion de cet homme dans sa communauté religieuse. « Ta guérison sera pour tous les gens un témoignage » ; ils apprendront que le temps du salut est arrivé. Mais cet homme guéri ne doit absolument rien dire autour de lui ; Jésus veut échapper à la pression des foules juives de son temps. On pensait en effet qu’il mettrait fin à l’occupation romaine, qu’il rétablirait la royauté en Israël, qu’il ferait disparaître la famine, les maladies et la mort. Mais Jésus ne veut pas se laisser enfermer dans cette vision de sa personne et de sa fonction.
Or voilà que le lépreux guéri transgresse l’ordre donné par Jésus de taire sa guérison ; l’homme « se mit à proclamer et à répandre la nouvelle ». Paradoxalement, Jésus finit pas se retrouver dans la situation de ce lépreux qu’il a guéri : il ne peut entrer dans une ville ; « il est obligé d’éviter les lieux habités, mais de partout, on venait à lui ».
Saint Marc écrit cet Évangile vers l’an 70. Depuis que Jésus est ressuscité, le secret messianique est devenu caduc. Le message libérateur de Jésus doit être proclamé partout dans le monde entier.