Luc chapitre 6

Scandale dans un champ de blé (1-5)
Cet évangile nous rapporte un conflit de Jésus avec les pharisiens le jour du Sabbat. Le Sabbat, c’est le 7ème jour de la semaine. Pour un juif fidèle, c’est le jour de la prière, le jour du repos, le jour de la famille et des amis. Les chefs religieux tenaient à tout prix à préserver la qualité exceptionnelle de ce jour unique dans la semaine. Alors, ils l’ont entouré d’une quantité impressionnante de défenses.

Ce jour-là, les pharisiens reprochent à Jésus d’avoir grappillé des épis ; comme si ce geste banal était déjà un geste de moisson (ce qui est interdit par la loi). Mais pour Jésus, Dieu n’est pas ce Dieu tatillon. Le Dieu de Jésus est un Dieu plein d’amour pour l’homme. Bien sûr, il ne faut pas interpréter l’Évangile dans l’autre sens. Jésus n’accepte pas que le jour du Seigneur soit profané. Il n’accepte pas qu’on glisse dans le sens de faire ce qu’on veut, d’en prendre et d’en laisser. Jésus ne supprime pas le sabbat. Il en donne la signification profonde : le sabbat a été fait pour l’homme. C’est un bienfait de Dieu pour le bonheur de l’homme. Les obligations que nous avons ce jour-là ne sont pas une brimade supplémentaire. C’est une sorte de nécessité pour notre épanouissement véritable.

S’arrêter de travailler, donner du temps supplémentaire à Dieu, soigner ses relations familiales et amicales, tout cela est bon pour l’homme. Oui, Jésus nous le répète, tous nos devoirs, y compris les interdits, n’ont pas été dictés par un Dieu jaloux de son autorité mais par un Dieu Père qui veut le bonheur de ses enfants. Le Sabbat est fait pour le bien et non pour le mal. Il est fait pour sauver une vie et non pour tuer. Ces deux affirmations sont toujours actuelles. Elles nous renvoient sur la manière dont nous vivons nos dimanches.

On a fait du dimanche un Week-end, une fin de semaine. Liturgiquement c’est faux. Le dimanche n’est pas une fin de semaine mais un début. C’est le jour où on fête Jésus ressuscité. C’est le jour où chacun est invité à venir puiser à la source pour repartir à neuf. Quant au dimanche, jour de bienfaits, on peut aussi en parler. Le risque est grand que ce jour soit le plus néfaste de la semaine. Il y a ceux qui cherchent un défoulement encore plus fatigant que le travail. De plus, c’est souvent le jour où l’on cherche à rattraper tel ou tel travail en retard.

La Bible nous dit aussi que le jour du Seigneur est un jour de vie et non un jour de mort. C’est vrai, mais si on va faire un tour aux Urgences de nos hôpitaux, on s’aperçoit bien vite que le dimanche c’est le grand jour des accidentés de la route. Tout cela nous ramène à quelques questions essentielles : Quelle est notre conception du dimanche à la suite de Jésus ? Est-ce que c’est un jour sacré pour moi ? Est-ce que je fais de mes dimanches un jour de fête, d’épanouissement, de calme, de prière ?

Et puis, le dimanche, il y a la messe. Ceux qui ne peuvent se déplacer à cause des infirmités peuvent s’unir à la prière de l’église grâce à la messe télévisée. Chaque fois, c’est le rappel brûlant du grand don de Jésus : Voici mon Corps livré… Voici mon sang versé… Faites cela en mémoire de moi… manquer la messe, c’est manquer à une des graves obligations que le Seigneur nous a faites pour notre bonheur. La messe aussi est faite pour l’homme.

Guérison le jour du Sabbat (6-11)
Dans le monde juif, le jour du Sabbat (samedi), le jour du Sabbat est un jour de repos absolu. Tout travail est absolument interdit par la loi de Moïse. Dans l’Évangile de ce jour, nous voyons les pharisiens qui surveillent Jésus pour voir s’il guérirait un homme paralysé ce jour-là. Ce serait une bonne occasion pour l’accuser.

En fait, dans le Bible, nous trouvons deux motifs qui justifient le respect de la loi du Sabbat : tout d’abord une invitation à imiter le Créateur qui a cessé son œuvre le 7ème jour. Mais le peuple doit aussi se souvenir que son Dieu est un Dieu libérateur. Autrefois, il était esclave en Égypte. Dieu l’en a fait sortir.

« Est-il permis de faire le bien ou le mal, de sauver une vie ou de la perdre ? » En posant la question, Jésus veut les renvoyer à ce Dieu qui a libéré son peuple de l’esclavage. Et aujourd’hui, le même Dieu envoie son Fils pour libérer le monde de son péché.

Des hommes à la main paralysée… nous en rencontrons chaque jour. Et nous-mêmes, nous en faisons souvent partie. C’est ce qui arrive quand nous refusons de la tendre ou de partager avec l’autre. Mais le Seigneur est toujours là et il veut nous sauver de toutes nos paralysies.

Jésus choisit ses douze apôtres (12-19)
Nous arrivons à une étape importante du ministère de Jésus. Après avoir passé toute la nuit à prier Dieu sur la montagne, il appelle ses disciples ; il en choisit douze pour qu’ils deviennent apôtres. Jésus va les former pour qu’ils deviennent missionnaires. En lien avec lui, ils auront à annoncer la bonne nouvelle de l’Évangile.

Fort de cette union à Dieu et entouré de ses douze apôtres, Jésus redescend vers la plaine. Il y retrouve « une grande multitude de gens venus de toute la Judée, de Jérusalem, et du littoral de Tyr et de Sidon ». Les uns et les autres viennent à lui pour l’entendre et se faire guérir de leurs maladies. C’est là, au contact de cette foule, que les Douze font leur apprentissage apostolique.

Le même Christ rejoint notre monde d’aujourd’hui. Il ne cesse de chercher ceux qui sont perdus car il veut les sauver tous. Il associe son Église (chacun de nous) à cette mission. La bonne nouvelle de l’Évangile doit être annoncée au monde entier. Nous ne sommes pas seulement envoyés vers les chrétiens mais aussi à tous ceux qui sont prêts à l’accueillir.

Mais comme pour Jésus, tout commence par un temps de prière. Cette rencontre avec Dieu nous permet d’agir en parfait accord avec lui. Nous avons besoin de lui pour être plus sereins et plus confiants dans notre apostolat. Avec lui, rien n’est impossible.

Le bonheur et le malheur (20-26)
Le Seigneur nous présente quatre béatitudes suivies de quatre lamentations. Chacun peut se poser la question : Qu’est ce qui me rend « bien-heureux » dans ma vie ? Et qu’est ce qui me rend « mal-heureux » en m’orientant de façon contraire ? Le but de cet examen de conscience n’est pas d’abord de nous regarder nous-mêmes mais d’entrer dans un temps de prière.

La première opposition entre bonheur et malheur concerne les pauvres. Non, il ne s’agit pas des SDF ni de ceux qui vivent dans la misère. En fait, il s’adresse en fait à celui qui a un cœur de pauvre, celui qui n’a pas « le cœur fier ni le regard hautain » (psaume 131), celui qui se tourne vers Dieu pour combler tous ses manques. Bien que n’ayant aucun bien, il peut compter sur la gratuité de la grâce. Quant aux riches, ils croient tenir leur bonheur en possédant de grands biens. Mais le Royaume de Dieu ne se possède pas. Il est donné gratuitement, sans mérite de notre part. Alors oui, demandons à Dieu d’ouvrir notre cœur au vrai bonheur.

La deuxième opposition s’adresse aux affamés et aux repus : « Heureux vous qui avez faim maintenant, vous serez rassasiés… Malheureux vous qui êtes repus maintenant, vous aurez faim. » Il s’adresse à ceux et celles qui ont faim du Royaume de Dieu. Le Seigneur ne demande qu’à nous combler. Mais il ne peut rien faire pour ceux qui ne pensent qu’aux nourritures terrestres. Ce renversement des valeurs a été chanté par Marie lors de sa visite chez sa cousine Élisabeth : Le Seigneur « comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides ».

La troisième opposition concerne ceux qui pleurent et ceux qui rient. Ces situations de malheur, nous les connaissons bien : chacun pense à la mort d’un être cher, la souffrance physique ou morale, les actes de violence qui font des victimes innocentes : Ce ne sont pas ces épreuves qui rendent les gens heureux mais la présence du Christ au sein même de ce qu’ils vivent. Par contre ceux qui cherchent leur bonheur dans les seules joies de ce monde oublient le but de leur vie. Ils vont vers leur perte.

La dernière opposition nous rappelle que ce bonheur promis se joue maintenant et pas seulement dans un au-delà. Quand saint Luc écrit son évangile, les chrétiens vivent des situations tragiques. Être reconnu disciple du Christ était dangereux. On risquait d’être poursuivi, emprisonné et mis à mort. Dans le monde d’aujourd’hui, de nombreux chrétiens sont persécutés à cause de leur foi au Christ.

Le message de cet évangile rejoint celui de l’Apocalypse de Saint Jean : Vous vivez des situations douloureuses, vous êtes persécutés, tournés en dérision. Mais le mal n’aura pas le dernier mot ; il y aura un renversement de situation au bénéfice des croyants. Bien sûr, cela ne va pas gommer la dureté du temps présent. Le plus important c’est d’aider les croyants à tenir bon dans la fidélité et la persévérance. Être attaché au Christ n’est pas toujours facile mais tout l’évangile est là pour nous rappeler qu’il veut nous associer tous à sa victoire sur le péché et la mort.

Aimez vos ennemis ((6, 27-38)
« Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent, faites du bien à ceux qui vous haïssent… » À travers ces paroles, Jésus prend le contre-pied de ce que tout le monde fait depuis toujours, les chrétiens comme les autres d’ailleurs. Mais ces paroles du Christ, nous devons les accueillir pour ce qu’elles sont car elles sont « les paroles de la Vie Éternelle ». Lui-même nous a aimés d’une manière déraisonnable, jusqu’à mourir pour nous sur une croix. Le langage de Jésus est celui d’un cœur ouvert par une lance.

Ce que le Christ attend de nous, c’est que nous aimions comme lui-même nous a aimés, pas seulement dans des paroles ou des écrits mais par des gestes concrets et quotidiens. Parler ou écrire ce n’est pas très compliqué. Mais vivre au jour le jour ce que l’on dit ou ce que l’on écrit c’est autre chose. C’est important pour nous de nous rappeler ce message car il y a souvent des éclipses dans l’amour que nous prétendons avoir. Mais le Seigneur est toujours là pour nous relever et nous montrer le chemin.

Comprenons bien : Lorsqu’il s’agit d’aimer avec la tendresse de Jésus, l’Évangile ne supporte plus d’exceptions ni de limitation. Et c’est ce qui nous dérange car nous avons un peu trop tendance à aimer au conditionnel. Je veux bien aimer les autres à condition qu’ils fassent ceci ou cela, qu’ils se conduisent de telle ou telle manière. Quant à nous, nous avons du mal à nous remettre en cause et à reconnaître que nous pouvons avoir tort.

En lisant cet Évangile, nous pouvons penser au témoignage d’Edmond Michelet. Pendant la guerre 39-45, il s’était engagé pour protéger les juifs. Un jour, il a été dénoncé et arrêté. Il a été conduit au camp de concentration de Dachau. Ce qui est admirable, c’est que malgré les horreurs qu’il y a vécues, il a pardonné et il a demandé à sa famille d’en faire autant. Il disait que c’est la seule attitude qui convient à des chrétiens. Par la suite, il a rencontré celui qui l’a dénoncé et il l’a aidé à retrouver la paix.

Nous sommes invités à « recharger » les mots « charité » et « amour ». Quand je parle de recharger, c’est un peu comme on recharge une batterie. Pour ces mots, c’est un peu la même chose. Ils finissent par s’user. A la longue ils ne signifient plus rien. Et si nous voulons les « recharger » c’est au pied de la croix du Christ que nous sommes invités à aller. C’est là que nous trouverons l’unique moyen de faire monter le niveau d’amour dans notre monde. Et c’est là que nous trouverons le vrai bonheur. Cela vaut bien la peine d’essayer.

La paille dans l’œil de ton frère » (39-42)
Le Christ insiste sur le regard que nous portons sur les autres, en particulier sur nos frères. Nous voyons plus facilement leurs défauts que leurs qualités. Ces défauts, il faut vivre avec, et ce n’est pas drôle. Nous voudrions aider notre frère à se corriger. Mais nous oublions que nous sommes mal placés pour le faire. Car nous aussi, nous avons nos défauts. Nous sommes souvent comme cet homme qui voudrait enlever la paille qui est dans l’œil de son frère. Mais il ne remarque pas qu’il y a une poutre dans le sien. Nous avons trop tendance à juger sévèrement les autres et à être conciliants envers nous-mêmes.

Cet Évangile nous invite à changer notre regard sur les autres et sur nous-mêmes. Juger les autres, c’est de l’hypocrisie, c’est vouloir se mettre à la place de Dieu. Nous sommes trop mal placés pour le faire. Le jugement appartient à Dieu seul. À notre jugement, il manque la miséricorde.

Pour comprendre cet Évangile, c’est vers le Christ qu’il nous faut regarder. Tout au long de sa vie, il a accueilli les publicains, les pécheurs et les infréquentables de toutes sortes. Il aurait pu leur reprocher leur mauvaise vie et les rejeter. Mais lui-même nous dit qu’il est venu chercher et sauver ceux qui étaient perdus. Et quand l’un d’entre eux revient vers le Père, Jésus nous dit que c’est jour de fête chez les anges de Dieu.

Nous chrétiens d’aujourd’hui, nous sommes envoyés non pour dénoncer ou accuser mais pour être les témoins et les messagers de l’Évangile auprès de tous ceux et celles qui nous entourent. Le Seigneur nous assure de sa présence. Nous pouvons toujours compter sur lui, même dans les situations les plus désespérées. C’est à sa victoire sur la mort et le péché qu’il veut nous associer.

Porter de bons fruits (43-49)
Il ne faut pas recevoir ces paroles du Christ comme de simples maximes de bonne conduite ou des simples conseils. Cet Évangile nous invite à revenir sans cesse à l’essentiel. Jésus nous parle de l’arbre bon qui porte de bons fruits. Ces bons fruits, nous ne pourrons les porter que si nous vivons de sa vie.

Aujourd’hui, saint Luc veut nous rappeler l’essentiel :  » pourquoi m’appelez-vous en disant : “Seigneur ! Seigneur !” et ne faites-vous pas ce que je dis ? » La prière est importante et même nécessaire. Mais pour qu’elle soit vraiment efficace, il faut qu’elle nous amène à faire la volonté de Dieu.

Si nous sommes vraiment reliés au Christ, si nous écoutons sa parole et si nous la mettons vraiment en pratique, nous sommes comme cet homme prévoyant qui a bâti sa maison sur le roc. La pluie est tombée, les torrents ont dévalé. La tempête s’est abattue sur cette maison, la maison ne s’est pas écroulée car elle était fondée sur le roc.

Bâtir sa vie sur le roc, c’est s’appuyer sur le Christ lui-même. En dehors de lui, nous ne pourrons pas résister aux tempêtes de la vie. Saint Luc le savait très bien puisqu’il s’adressait à des chrétiens persécutés. Leur fidélité au Christ les a aidés à tenir bon dans les moments les plus difficiles.